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“Macbeth Underworld” : une création totalement réussie à l’Opéra Comique

Hélène Kuttner 7 novembre 2023
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©Stefan-Brion

Créée au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles en 2019 et reportée en raison du Covid, cette production magistrale de l’opéra de Pascal Dusapin, mis en scène par Thomas Jolly, revisite poétiquement l’œuvre de Shakespeare sur un livret imaginé par Frédéric Boyer. Katarina Bradić et Jarrett Ott incarnent furieusement le couple criminel dans un conte cruel et sombre, féérique et infernal comme un songe.

La mémoire du monde

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Dans un jardin aux arbres effrayants, qui déploient des ombres fantomatiques et des feuillages squelettiques, Lady Macbeth, telle une apparition fantomatique, revisite son histoire en lisant les pages volantes d’un livre tandis que son mari, Macbeth, vêtu entièrement de blanc lui aussi, médite sur l’assassinat du roi. La nuit est noire, et les Sœurs bizarres, trois sorcières aux cheveux rouges, répètent des rituels envoûtants qui réactivent le meurtre, se glissant comme des serpents au corps reptilien au cœur des arbres. Hécate, la déesse de la nuit, convoque tous ses esprits et le spectre d’un homme assassiné, un couteau encore sanglant dans le dos, imposent leur présence hallucinatoire, de même qu’un angélique enfant. Comment se débarrasser d’un meurtre, d’une série de crimes provoqués par un  appétit de pouvoir démesuré ? Shakespeare achève le voyage de ses meurtriers en série, Macbeth, Richard III, par un bain de sang collectif dont nul ne réchappe. Pascal Dusapin et son librettiste Frédéric Boyer imaginent une cérémonie expiatoire, une revisitation de l’acte criminel et de ses origines, comme pour en livrer le tréfond sensible de nos mémoires ancestrales et intimes à travers le phénomène de ressassement perpétuel.

Une mise en scène somptueuse et claire

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Le metteur en scène Thomas Jolly éclaire de manière impressionnante l’histoire et rend parfaitement intelligible chaque personnage dans son propre parcours. Ce travail de mise en lumière de l’opéra est le fruit d’une longue élaboration verbale avec le compositeur. La scénographie de Bruno de Lavenère et la lumière d’Antoine Travert procèdent comme souvent par une éventail de faisceaux blancs qui balaient et découpent l’espace de manière dynamique, jouant à cache cache avec un plateau tournant. Le château tangue, le ciel rougeoie, les arbres s’animent, l’orage déploie ses éclairs, et les personnages de ce conte dessinent leur trajectoire maléfique et sanglante dans des costumes à la blancheur immaculée et à la coupe parfaite (Sylvette Dequest). Cette mise en scène graphique est en parfaite adéquation avec le livret d’une subtile qualité littéraire et poétique de Frédéric Boyer qui navigue chez Shakespeare, avec quelques détours dans la Bible, les légendes écossaises ou chez Lewis Caroll. Le texte, en langue anglaise, est un hommage au théâtre, à la mise en abîme et à l’imaginaire sous toutes ses formes et flirte bien sûr avec la psychanalyse.

Des interprètes parfaits

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On est emportés, surpris, par le voyage musical que propose le compositeur Pascal Dusapin qui nous offre sa propre vision de personnages mythiques happés par la perversité du mal. Sa musique est organique, complexe et terriblement naturelle à la fois, alternant des percussions hétéroclites comme des tambours basques, des crécelles, des cloches d’église, grosse caisse, Glockenspiel et toutes sortes de tambourins, d’épées et de grelots. L’instrumentation est celle d’un opéra-monde ou le théâtre est roi et où chaque son, porté par des instruments baroques comme l’archiluth, est un personnage de l’histoire ou de la météo. Tonnerre, pluie, église et chants écossais forment un tourbillon de vie humaine dont le langage est aussi la musique poétique de Dusapin. L’énergie de cette partition puissante inonde l’espace et rend les interprètes particulièrement brillants. L’orchestre de l’Opéra de Lyon et ses chœurs accentus, préparés par Richard Wilberforce, déploient une superbe ardeur, une sonorité et une énergie remarquable sous la baguette de Franck Ollu dans la fosse, précis et respectueux du livret. 

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Le baryton américain Jarrett Ott, qui a du reprendre le rôle écrasant de Macbeth en cinq semaines, est tout simplement superbe d’engagement et de présence, alliant un timbre expressif, puissant et capable de toutes les outrances propre à un tel personnage, et une interprétation dramatique athlétique et délibérément perverse. C’est un régal de le voir et de l’entendre chanter et jouer ainsi, tout comme Katerina Bradić, qui quoique souffrante lors de la première, a tenu son rôle de maitresse femme avec le brillant de ses puissantes et délicieuses variations de mezzo-soprano, tantôt dominatrice, tantôt mélancolique et maternelle, toujours sincère et juste. Les Sœurs bizarres, ces sorcières démoniaques et très morales aussi, rivalisent de perversité et d’humour avec Maria Carla Pino Cury, Mélanie Boisvert et Melissa Zgouridi. Le spectre de Hiroshi Matsui apparaît effrayant, tout comme est luciférien et hystérique le génial portier John Graham Hall. Des personnages dessinés au cordeau et parfaitement insérés dans ce spectacle en forme de conte fantasmatique qui nous plonge dans un cauchemar tragique et initiatique à la fois. Une totale réussite.

Hélène Kuttner 

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